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La Traversée de Charlevoix en hiver, un défi exaltant

Sept jours, six refuges, 105 kilomètres de sentier à travers une région montagneuse, un cumulatif de 3 300 mètres de dénivelé positif et 3 700 mètres de dénivelé négatif, voilà en quoi consiste la Traversée de Charlevoix en chiffres. J’avais envie d’explorer les limites de ma zone de confort, de me dépasser et de me retrouver au cœur de la nature sauvage. Cette aventure représentait donc un projet d’expédition hivernale de choix. C’est avec un bon entrainement, une grande préparation et beaucoup de détermination que j’ai accompli ce beau défi. Voici les détails de cette aventure en ski de fond nordique.

Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

Premières impressions

La première fois que j’ai entendu parler de la Traversée de Charlevoix, c’était il y a plusieurs années, lorsqu’une amie et moi avions loué un refuge dans la ZEC des Martres à Saint-Urbain pour une fin de semaine de raquette. Pour moi, la Traversée évoquait une aventure périlleuse qui relevait de l’exploit.

La Traversée de Charlevoix s’échelonne sur un sentier de 105 km à travers monts et vallées de Saint-Urbain à Mont Grands-Fonds à la Malbaie. Les adeptes du plein air y trouvent leur compte en toutes saisons, soit à pied ou en vélo l’été et en ski nordique l’hiver. Le ski nordique, c’est du ski de fond dans des sentiers balisés, mais non damés ou tracés. Les skis nordiques sont typiquement un peu plus larges que des skis de fond classiques et sont adaptés pour l’installation de demi-peaux ou de peaux complètes pour l’ascension en terrain vallonné. C’est l’option de prédilection pour faire la Traversée de Charlevoix l’hiver, aussitôt que la neige est au rendez-vous!

Entrain de traverser Charlevoix en ski nordique
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

J’adore me retrouver en forêt, vivre au rythme des éléments qui m’entourent et relever des défis. Après quelques années d’expérience en expéditions de plein air, la Traversée de Charlevoix s’est élevée naturellement au sommet de ma liste d’activités de prédilection. Je suis donc partie à la fin janvier avec deux compagnons d’aventure aguerris et beaucoup d’excitation.

Grand départ

Au départ de la ZEC des Martres le long de la route 381, nous chaussons nos skis et prenons nos lourds sacs à dos qui contiennent tout ce dont nous avons besoin pour cette grande aventure. Le sentier longe d’abord un lac bordé de falaises où des chutes glacées parsèment le paysage. Le chemin est large et plutôt plat, ce qui constitue un bon échauffement pour le début de la Traversée.

Le premier refuge est blotti entre les conifères au pied d’une montagne majestueuse. La rivière en contrebas offre de l’eau (à traiter ou bouillir avant de boire) et un murmure de promesses d’aventure pour le lendemain. Elle coule entre les montagnes vers l’infini de la forêt dans la même direction que le sentier que nous allons suivre pour les six prochains jours.

Notre premier refuge L’Écureuil et son voisin, au pied d’une montagne
Crédit photo: Malie Lessard-Therrien

Le lendemain, un soleil radieux passe par-dessus les montagnes et inonde le paysage hivernal d’un blanc éclatant. C’est magnifique et la glisse est bonne sur la neige abondante. Quelques petits groupes en ski ont passé avant nous depuis la dernière neige. Nous progressons rapidement sur le sentier tracé. Les bornes kilométriques, qui sont placées à tous les 500 mètres, défilent à un bon rythme. Je bois régulièrement, mais l’eau commence à tourner en slush dans ma gourde. Le froid est vif et l’air est sec. La forêt est parfois composée d’épinettes denses, parfois de jeunes sapins, puis des bouleaux et cerisiers clairsemés. Entre les arbres, nous apercevons souvent un immense mur de roc sur notre gauche, les falaises sont grandioses!

Un soleil radieux se lève pour notre deuxième journée
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

La faune hivernale

Peu à peu, je progresse sur le sentier et m’enfonce dans la nature sauvage. J’entends le chant des mésanges qui saluent notre passage. Les signes qui témoignent de la présence de la faune sont nombreux. J’aperçois de l’écorce fraîchement rongée par un porc-épic. À maintes reprises, je croise de grandes et profondes traces d’orignal qui suivent parfois le sentier sur plusieurs centaines de mètres, créant des trous de 50 cm de profond sur la trace des skis devant nous.

Un matin, ce sont les empreintes d’un lynx qui bordent le sentier. Le lendemain, ce sont celles d’un coyote, juste à côté du refuge baptisé « Le Coyote » justement! Quelques individus d’espèces d’oiseaux qui restent au Québec l’hiver, se nourrissent dans les arbres tout près. J’identifie des mésanges à tête noire, des mésanges à tête brune (qui sont plus rares), des chardonnerets jaunes, des pics-bois et des dur-becs des sapins.

Un porc-épic s’est nourrit de l’écorce d’un bouleau
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

Parcourir les sentiers

Tous les matins, j’évalue sur la carte le trajet qui nous attend pour la journée. Les gens qui nous ont accueillis au bureau de la Traversée lors de notre enregistrement nous ont remis un profil de dénivelé pour chaque jour de notre itinéraire. Ce document m’est très utile. Je m’en sers pour déterminer sur quelles portions du sentier je vais avancer avec les demi-peaux sous mes skis et celles où j’installe les peaux complètes pour l’ascension des montées importantes. Parfois, je choisis de garder les peaux complètes dans les descentes vertigineuses afin de freiner mon allure pour éviter les chutes. J’ai entendu dire que c’est une stratégie aussi adoptée par les skieurs et skieuses qui font la Traversée dans des conditions de terrain glacé.

Le sentier est très bien balisés et clair à suivre. Le parcours est judicieusement choisi pour qu’on puisse admirer les falaises ou les lacs et passer à travers des peuplements d’arbres variés, tantôt dans une forêt de conifères, tantôt dans une érablière. Nous profitons souvent de superbes points de vue sur les montagnes et les Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie avant d’arriver dans le parc national du même nom.

Le sentier met en valeur les paysages montagneux de Charlevoix
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

Le sentier longe ou traverse parfois une ligne d’Hydro où se trouvent d’immenses pylônes porteurs de fils qui grésillent au vent ou lorsque la neige tombe. Ils me font penser à des géants de métal imperturbables. D’autres fois, lorsque nous arrivons à un point de vue, nous les apercevons au loin, balafrant la forêt d’une cicatrice de coupe à blanc et de fer.

Les géants de métal que nous croisons plusieurs fois lors de la Traversée
Crédit photo: Malie Lessard-Therrien

À deux ou trois reprises, des arbres entravent les sentiers. Leurs emplacements nous ont été communiqués par les responsables de la Traversée avant le départ. C’est donc sans surprises que nous les apercevons nous couper la route. Un de mes compagnons d’aventure apporte toujours une sciotte avec lui. Il s’affaire à dégager le sentier pour le libre passage des adeptes de la Traversée qui vont skier après nous.

Plusieurs autres facteurs font en sorte que le sentier est parfois un parcours à obstacle; les trous des empreintes d’orignal sur la piste, les nombreuses traces de ski qui s’éparpillent dans les descentes abruptes, les virages en tête d’épingle dans les bas de pente juste avant un pont et les traverses des ruisseaux pas encore gelés en sont quelques exemples. Nous devons donc être vigilants et vigilantes pour skier dans le terrain souvent inégal. Je recommande un bon niveau d’expérience en ski nordique pour accomplir la Traversée de Charlevoix.

Le sentier passe souvent en terrain inégal
Crédit photo: Malie Lessard-Therrien 

La vitesse à laquelle les skieurs et skieuses progressent varie beaucoup selon les conditions du sentier. Lors de notre demi-traversée l’année passée, nous avions eu de la belle neige fraîche en abondance la veille de notre départ. Mes deux partenaires d’expédition et moi-même étions donc les premiers et première à faire la trace. Nous nous alternions fréquemment à l’avant pour taper le sentier afin de préserver notre énergie. Les journées étaient longues et ardues. Malgré nos départs matinaux, il n’était pas rare d’arriver au refuge le soir à la frontale. Cette année, puisque le sentier est déjà tracé, l’expérience est très différente. Nous arrivons beaucoup plus tôt et nous avons le temps d’accomplir les tâches de la vie en refuge avant que la noirceur s’installe.

La vie en refuge

Tous les refuges sont équipés d’un poêle à bois, d’une grande table, d’un coin cuisine avec tout ce qu’il faut pour cuisiner; vaisselle, ustensiles et chaudrons (même une râpe à fromage!) et, comble du confort, d’un divan. Un grand dortoir avec des matelas au sol se trouve au deuxième étage. En arrivant, nous nous alternons pour aller chercher de l’eau aux lacs ou aux rivières tout près, fendre du petit bois et allumer un feu. Nous changeons ensuite nos vêtements humides pour des secs et préparons les repas gastronomiques que nous avions cuisinés et déshydratés nous-mêmes avant le départ.

Arrivée en après-midi au refuge La Marmotte
Crédit photo: Malie Lessard-Therrien

Le menu

Voici notre menu, inspiré des recettes de la nutritionniste et guide de plein air Odile Dumais. Son livre La Gastronomie en plein air (publié en 1999 aux Éditions Québec Amérique inc.) est une excellente référence pour préparer des repas délicieux et complets à savourer lors des aventures en nature sauvage.

Jour 1Jour 2Jour 3Jour 4Jour 5Jour 6Jour 7Jour extra
Déjeuner–           Pain bananeGruau aux cannebergesCouscous aux pêchesOmelette aux légumesGruau noix et raisinsOmelette aux légumesGruau
DinerWrap pouletSoupe légumes, jerky de boeufSoupe ramen, jerky pouletCrème de poireaux, jerky boeufSoupe à l’oignon, jerky pouletSoupe ramen, jerky boeufSoupe tomate et riz, jerky pouletSoupe oignon
EntréeBrieSoupe haricotsSalade de carottesHummus, craquelinsSalade de carottesHummus, craquelins–           –           
SouperSpaghettiQuésadillasChili et patates piléesPâtes au prosciuttoDhal, halloumi et rizCouscous bœuf mandarin–           Pad thaï Happy Yack
DessertGâteau aux fruitsPudding choco-manguePudding tapiocaSalade de fruitsAmandes choco-framboisesPudding vanille et fraises–           –           

Lors des expéditions d’hiver, nous dépensons beaucoup d’énergie, non seulement pour l’activité physique, mais aussi pour maintenir notre corps au chaud. Nous avons adapté notre menu et les portions en conséquence pour nous assurer de combler notre faim. J’ai aussi de nombreuses collations que je mange régulièrement au cours de la journée.

Mes collations consistent en un mélange choisi de noix et fruits séchés, des biscuits polaires (recette d’Odile Dumais mentionnée ci-haut) et des boules d’énergie. J’apporte aussi deux thermos, un pour la tisane ou le chocolat chaud et l’autre pour la soupe du midi. Je bois l’eau de ma gourde en avant-midi, idéalement avant qu’elle ne gèle, et la tisane l’après-midi. Je m’assure ainsi d’être bien hydratée tout au long de la journée. Par sécurité lors de mes expéditions, j’apporte toujours au moins trois repas supplémentaires au cas où on devrait rester en nature une journée de plus à cause d’un imprévu.

Dîner réconfortant aux ramens et jerky. 
Protip: Ajoutez les ramens dans le thermos de bouillon juste avant de les manger pour que les nouilles gardent leur consistance ferme.
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

Vivre la Traversée

Au fil des jours, nous progressons de mieux en mieux. Nos corps s’adaptent à l’effort, nos muscles d’abord endoloris s’accommodent de nos sacs et du dénivelé, nous prenons de l’assurance dans les descentes et affinons nos techniques dans les montées. J’apprécie le silence qui nous entoure et la nature endormie dans son manteau blanc. Nous traversons les paysages grandioses de Charlevoix à un rythme constant favorisant l’endurance pour continuer le lendemain. Notre appétit augmente alors que le poids de nos sacs diminue. L’euphorie des premiers kilomètres se transforme en joie du moment présent, puis en fierté de l’effort accompli.

Finalement, un jour où je ne me rends plus compte du temps écoulé ni de la distance parcourue, nous débouchons sur de larges pistes bien damées et tracées. Imprégnée de solitude depuis des jours, c’est presque avec surprise que j’aperçois des gens vêtus de tenues ajustées en spandex qui nous dépassent à toute allure en ski de patin. L’agilité de leurs mouvements contraste avec notre pas lourd et nos énormes sacs.

Les derniers kilomètres sur les sentier du Mont Grand-Fonds
Crédit photo: Malie Lessard-Therrien

Grande finale

Les derniers quatre kilomètres de la Traversée s’effectuent sur les sentiers de ski de fond du Mont Grand-Fonds. Ravie, j’échange les peaux complètes sous mes skis pour les demi-peaux afin de profiter de la glisse au maximum. Nous faisons la course dans les descentes, à savoir qui ira le plus loin sans se donner d’élan. Nous fabulons sur la nourriture que nous allons manger une fois de retour à la civilisation.

Les têtes des fondeurs et fondeuses se tournent à notre passage avec des airs surpris et curieux. Une dame nous interroge. En apprenant ce que nous faisons là, elle s’exclame d’admiration et repart avec un grand sourire ainsi que des félicitations à notre égard. Ça fait plaisir à entendre. Nous arrivons finalement au stationnement où une amie nous attend. Je suis fière et heureuse. Je gobe toutes les collations sucrées qu’il me reste en guise de récompense et célébration. Victoire! Nous avons réussi la Traversée de Charlevoix!

Mission accomplie!
Crédit photo: Charles Morin-Pellerin

Infos pratiques :

Poids de nos sacs au départ: 35-40 lbs
Distance moyenne par jour : 15 km
Dénivelé moyen par jour : + 470 m et – 530 m
Temps moyen skié par jour : 8 hrs

Malie Lessard-Therrien

À propos de Malie Lessard-Therrien

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