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Portrait : Éric Deschamps, photographe de nature sauvage

Natif de la Rive-Sud de Montréal, Éric a poursuivi des études en comptabilité et en actuariat à l’UQAM. Il a grandi dans une famille de gens d’affaires et il a toujours cru que c’était sa voie aussi. Vivant un stress relié à la performance, il avait de la difficulté à mettre la switch à off, alors il s’est acheté un kayak pour aller se laisser flotter sur la rivière Richelieu à la fin de ses longues journées de travail. C’est là que les premiers déclics avec la nature se sont faits.

À l’aube de ses 29 ans, Éric habite en Gaspésie depuis maintenant quatre ans. Sa profession? Rien à voir avec l’actuariat, il est photographe de nature sauvage! Je lui ai lâché un coup de fil pour en apprendre davantage sur lui et sur son parcours atypique.

© J-C Lemay – IG : @jclemayphoto

D’où la passion pour la photographie t’est-elle venue ?

Quand je suis arrivé en Gaspésie, ça a été la libération de tous mes sens et de ma créativité. Je suis arrivé le 1er juin 2016 et le premier événement qui m’a mené à la photographie a eu lieu de 2 novembre 2016. C’est la fameuse vidéo où on voit plusieurs orignaux qui m’entourent. Depuis ce jour-là, ça n’a jamais arrêté! C’était la première fois que je rencontrais des orignaux et ça a été LE coup de foudre de ma vie. Je suis tombé en amour avec eux, tellement que j’allais les voir tous les jours! Donc c’est vraiment eux qui m’ont amené vers la photographie.

As-tu suivi des cours de photographie ou as-tu appris sur le tas?

Je suis autodidacte à 100%. Je n’ai pas eu de mentor et je n’avais aucune référence au début. J’ai appris par YouTube et par mes propres interprétation et compréhension de l’environnement. Ça fait plus d’un an que je donne des conférences dans des clubs photo à des gens qui font de la photo depuis des dizaines d’années. C’est spécial pour moi d’être aussi nouveau dans le domaine et d’inspirer autant de gens du milieu. D’ailleurs, j’apprends moi-même encore tous les jours!

© Éric Deschamps – IG : @eric.nature

Avais-tu déjà envisagé vivre en région/Gaspésie ?

Mon grand frère habite en Gaspésie depuis bientôt 10 ans. Pour cette raison, c’était la seule région que je connaissais autre que Montréal et ses environs. C’est un endroit que j’ai appris à apprécier parce que c’est différent et je me suis toujours bien senti là-bas. Je savais ce que je ne voulais pas, mais je ne savais pas ce que je voulais. C’est dans cette optique-là que je suis arrivé en Gaspésie avec l’esprit grand ouvert. J’étais prêt à faire n’importe quoi qui pouvait m’inspirer, je me laissais aller à 100%. C’est ça qui m’a permis de me modeler rapidement en photo, mais aussi en observation de la faune et des comportements animaliers.

J’ai vu que tu étudiais le comportement des animaux pour mieux les poser, est-ce que tu as fait de l’essai-erreur pour évaluer leurs comportements ou lu sur le sujet ?

J’ai une philosophie très saine avec les animaux. Selon moi, il y a deux manières de converser avec un animal :

  1. Tu peux être un témoin.
  2. Tu peux être un acteur.

Dans mon cas, j’essaie toujours d’être un témoin de ce qui se passe. Je ne provoque pas, je n’appelle pas, je n’utilise pas d’appât. Je ne fais que regarder. Oui, c’est plus long et plus difficile. Oui, ça prend plus de patience et il y a plus de « non-succès ». Mais c’est une manière plus pure, saine et vraie pour moi d’apprendre le comportement des animaux. Pas besoin de faire de l’essai-erreur, il suffit d’observer de loin pour comprendre. Chaque animal a des logiques comportementales fascinantes et intéressantes. Donc après ça, en photo, on arrive à avoir des opportunités spéciales et une assez belle proximité de par nos connaissances de l’animal.

© Éric Deschamps – IG : @eric.nature

Qu’est-ce que tu aimes le plus de la vie de région ?

Tous mes sens sont stimulés. Quand je veux retrouver le silence, le son de la mer ou le vent en montagne, tout est toujours accessible. C’est un rythme de vie tellement, mais tellement zen! Surtout quand on arrive en région avec une culture de vie de la ville, où tout va super vite et où le niveau de stress est très élevé. Ici, les gens prennent le temps. Plus précisément, ils prennent le temps de prendre le temps. Ça a changé ma vie. Je suis un hypersensible à ce qui se passe autour de moi, autant par l’environnement que par les humains, et le rythme de la ville me rendait malheureux. Ici, j’arrive à être heureux parce que je peux prendre le temps de parler aux gens, pour de vrai, en les écoutant, pour de vrai.

Outre la photographie, as-tu d’autres sources de gagne-pain ?

Oui, j’ai un emploi à l’Auberge de montagne des Chic-Chocs pour la Sépaq. Je travaille là cinq à six mois par année. C’est une jobine qui est essentielle pour moi pour le moment. Je pourrais gagner ma vie avec la photographie, mais à quel prix? Je pense qu’une des raisons pourquoi je continue de m’émerveiller autant en photo, c’est parce que j’ai une certaine paix financière. Ça me permet aussi de garder une liberté artistique. Je n’ai pas besoin de prendre de contrats pour lesquels je devrais fournir des éléments précis. J’ai le privilège d’avoir la Sépaq et Chlorophylle comme partenaires, et ils me laissent carte blanche à ce niveau. De cette façon, je n’ai aucune pression de création de contenu. Pour moi, c’est important. Quand je fais de la photographie, il n’y a plus rien qui existe. Je ne pourrais pas avoir cette paix intérieure là avec le stress et la pression de performance que les contrats pourraient m’apporter.

© Éric Deschamps – IG : @eric.nature

Parle-moi d’une journée typique ?

Ça varie beaucoup selon les saisons. Au printemps, c’est LE moment de l’année où on observe la migration des oiseaux. Donc toute ma planification et mon temps sont orientés vers ça. À partir de 3h45, il y a assez de lumière pour repérer les oiseaux. Une autre lumière qui me plaît est celle au coucher de soleil entre 18h30 et 20h30. Donc la plupart du temps je me lève à 17h00, je vais profiter de la lumière au coucher de soleil, puis je fais le tri de mes cartes, je traite quelques photos et je réponds à mes courriels pendant la nuit. D’ailleurs, j’ai toujours aimé la nuit. Je l’associe à une belle paix et c’est à ce moment que je suis le plus productif. Vers 2h00, je regarde la météo, la marée, le vent, et je décide où je vais. Vers 3h45, je fais mes approches d’oiseaux et à 5h00 j’ai fini ma journée! Donc c’est vraiment la lumière qui dicte ma façon de fonctionner. En hiver, c’est l’inverse. Je veux profiter de la lumière le plus possible, donc je travaille plus de jour. Puis l’automne, c’est là que je donne un gros coup et je dors très peu. Les couleurs, la période de rut et la migration inverse des oiseaux se passent toutes à l’automne. C’est à ce moment que je fais le plus d‘ in and out entre les montagnes et l’océan.

Tes semaines ressemblent à quoi? Est-ce que tu sors en nature tous les jours ?

Non, je prends au moins un 72h off par mois. J’appelle ça des resets. J’en ai besoin, c’est essentiel. Quand je fais de la photo, je suis souvent dans une position inconfortable, très statique. Les gens ont l’impression que je suis RoboCope, mais je suis un humain comme tout le monde : j’ai besoin de repos, de sommeil et de bien manger.

J’y vais beaucoup au jour le jour et il y a plusieurs sphères de ce que je fais qui font que je me sens accompli. Que ce soit mes quêtes personnelles, pour inspirer les gens ou encore par l’éducation que je fais. Ce sont toutes des façons que j’arrive à m’accomplir.

J’imagine que ça prend de la patience pour photographier certains animaux sauvages, tu attends jusqu’à combien de temps ? Est-ce que tu reviens bredouille souvent ?

J’ai appris à lire l’habitat des orignaux sur des cartes, à lire sur leur nourriture, les pistes, les odeurs, etc. Ça aide à les repérer plus facilement. Parfois, j’y vais, et je sais que je vais revenir sans photo. Mais, je sais que je vais apprendre. Lorsque les animaux sont là, mais que la lumière est trop dure à mon goût, j’observe et j’apprends au lieu de photographier. Contrairement à ce que les gens pensent, je suis loin d’avoir du succès avec les orignaux à chaque fois.

Au fil du temps, j’arrive à repérer les tracés qu’ils font année après année à un moment et un endroit précis. Je comprends leur dynamique de groupe et leur comportement. Avant toute randonnée et prospection, il y a un travail de recherche et d’analyse à faire pour augmenter ses chances d’observer les différentes espèces. J’informe les gens de ça parce qu’ils ont tendance à penser que c’est de la magie, mais il y a beaucoup de recherche et de compréhension là-dedans.

Puis il y a les gens qui vont dans la nature pour faire de la photographie. Mais il y a des gens qui, comme moi, sont dans la nature de prime abord pour être dans la nature, et qui amènent leur caméra pour saisir ces moments-là. Donc, c’est plutôt ma compréhension et l’analyse de ce qui se passe en nature qui m’amènent à faire ce que je fais.

© Éric Deschamps – IG : @eric.nature

Quels sont tes endroits de prédilection pour la photographie ?

J’adore le Parc national de la Gaspésie, la réserve faunique de Matane, le Parc national de Forillon et la baie de Gaspé. J’ai des coups de cœur pour les secteurs des Graves dans le Parc national de Forillon et du Mont Logan dans le Parc national de la Gaspésie.

Comment te prépares-tu pour tes sorties ? As-tu beaucoup d’équipement ?

Ça dépend d’où je dors, si c’est en tente, en refuge, dans l’auto ou à la maison. J’amène rarement tout mon équipement parce que c’est très lourd. En hiver, je marche avec un traîneau, alors je mets mon équipement dedans et ça va bien. En été, je fais des sacrifices au niveau des lentilles. Je priorise toujours ma sécurité et mon confort avant mon équipement photo.

Quel est ton animal préféré à photographier et pourquoi ?

Il y en a plusieurs, mais si je dois n’en nommer qu’un, je dois dire l’orignal. Ça a vraiment été l’animal révélateur qui a donné un sens à ma vie depuis que je suis arrivé en Gaspésie. En réalité, c’est l’être vivant avec lequel j’ai passé le plus de temps dans les quatre dernières années et avec lequel je continuerai de passer du temps dans le futur. C’est aussi intense que ça haha!

Les orignaux ont un comportement très fascinant. Ils sont souvent perçus d’une manière très rudimentaire, très peu dans l’émotion et dans leurs valeurs réelles. Ils sont souvent vus comme des statistiques. Pour moi, je les vois comme des animaux qui ont autant leur place que les caribous dans nos montagnes. C’est une des raisons pour lesquelles je continue de persévérer dans l’éducation que je fais et dans ma sensibilisation par rapport à cet animal. Les orignaux vivent toutes sortes d’émotion et ils communiquent d’une manière extraordinaire, soit par l’odeur ou par leur vocalise. Ils ont des liens sociaux qui sont beaucoup plus développés qu’on le pense! Tout ça me motive à en apprendre davantage sur eux.

© Éric Deschamps – IG : @eric.nature

Qu’est-ce que tu aimerais réussir à capter, mais que tu n’as pas encore eu l’occasion ?

Le lynx, c’est un rêve. J’en ai vu à quelques reprises et j’ai quelques photos, mais je n’ai pas réussi à le photographier tel que je l’aurais voulu. Sinon, il y a aussi le pécan qui est un animal furtif, vif et peu connu, puis il y a l’aigle royal. C’est très difficile d’avoir une proximité avec cet oiseau-là. 

Raconte-moi une anecdote qui t’a marqué en expédition

Je restais en refuge et pendant la nuit, j’ai déplacé ma caméra pour prendre un time-laps de la Voie lactée. Il ne ventait pas, alors plutôt que de rester à côté de ma caméra, je l’ai plantée là et je suis allé me coucher au refuge. Le lendemain quand je suis retourné à l’endroit où j’avais planté ma caméra, je ne la voyais plus! J’étais dans l’incompréhension totale. J’ai regardé le point GPS que j’avais noté et j’ai finalement réalisé que la caméra était penchée sur le côté. Il ne ventait pourtant pas… En regardant les photos, j’ai vu le joli museau tout blanc d’un orignal! Ce sont vraiment des êtres vivants qui sont curieux, surtout envers les trépieds. Je dois avoir au moins huit péripéties du genre avec des orignaux haha!

En terminant, quels sont tes prochains projets ?

En novembre prochain, je planifie aller explorer la Baie-James pour faire de la prospection et de la compréhension du territoire. Le but est d’aller passer deux ou trois mois à l’automne suivant pour les caribous et les orignaux, mais également pour tout ce qui se trouve là-bas comme le renard argenté, l’ours et le loup. En fait, j’hésite encore entre la Baie-James ou le Yukon. Jusqu’à maintenant, ça s’aligne plus pour la Baie-James en autonomie dans ma voiture, mais il y a énormément de préparation à faire avant. À suivre!

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